Aujourd’hui, un rapport « Les développeurs, un atout pour la France » va être remis à Fleur Pellerin. Parmi les phrases de son auteur lues dans cette interview, j’adhère à la plupart, mais surtout à ceci :
« En France, pour qu’un développeur accède à des postes de responsabilité, il faut qu’il change de métier, renonce à coder ! »
« On a tendance à considérer ces personnes […] comme de simples exécutants »
Ce sont en effet les deux points qui m’ont heurtée dans ma carrière d’ingénieure salariée dans une grande entreprise. Et c’est pour cela que j’ai décidé de devenir freelance et de revenir à mon métier de base.
En effet, au bout de 8 ans environ de carrière (entrecoupée de 3 congés maternité, ce qui a freiné les choses…), les Ressources Humaines m’ont convoquée pour m’expliquer qu’on m’offrait un poste de manager. Que je ne coderais plus. J’ai refusé. On a insisté : « Si on a embauché une centralienne, c’est pour devenir un manager, vous ne pouvez pas rester à programmer !« . Après de longues tergiversations, on m’a fait miroiter le fait de pouvoir être décisionnaire sur des choix techniques. J’ai donc fini par accepter. C’était la période de l’arrivée du web et des nouvelles technologies associées, donc il y avait du challenge à relever, des choix à faire.
J’ai alors eu mon quatrième enfant… Lorsque je suis partie en congé, on envisageait de lancer une étude sur les environnements de développement web. J’ai répété que si cela se faisait, je désirais être au courant, pouvoir donner mon avis. J’ai profité de mon temps de congé pour apprendre le PHP et créer un site avec cette technologie. J’ai eu quelques contacts avec l’entreprise, où on m’a dit que rien ne se passait. Pourtant, en revenant, j’ai appris qu’on avait choisi de faire du Java, environnement J2EE. J’ai demandé à lire les rapports ayant mené à ce choix : rien. Des prestataires et des commerciaux extérieurs avaient convaincu, point final. Je devais mettre en œuvre, c’est mon rôle. Super, le pouvoir de décisionnaire, et super, la confiance donnée aux équipes des services informatiques (qui, comme c’est étonnant, n’ont jamais adhéré à ce choix et cet environnement trop complexe pour leurs besoins).
Un ou deux ans plus tard, je quittais volontairement et définitivement tout poste de management, pour devenir une sorte d’experte électron libre que personne ne savait comment utiliser. J’ai par la suite proposé divers outils open-source, signalé des opportunités techniques, indiqué des usages innovants (sur le e-learning, entre autres, ou encore le e-commerce), mis les mains dans le powerpoint pour monter un plan directeur internet, monté des prototypes. Mais je n’avais aucun poids car je n’étais pas manager. Et je n’étais pas non plus une « créative ». L’équipe Innovation, la vraie, ne comportait aucun informaticien.
Car c’est bien le deuxième point problématique : le développeur, l’ingénieur, sont des exécutants. On doit leur dire quoi faire, établir des cahiers des charges super précis faits par les « métiers » ou bien pire par les « prestataires assistants à la maîtrise d’ouvrage » qui sont chargés de traduire le besoin business pour ces pauvres informaticiens qui ne comprennent que les langages binaires. Tout ce qu’on leur demande, c’est un délai et des coûts, car ce sont des poids, voilà, des poids. Ils ne vont quand même pas vouloir se mêler du fonctionnel ou de l’ergonomie, tout de même ! Tout le monde sait que les créatifs ce sont soit les graphistes, soit les marketeurs. Point.
Alors oui, il y a des informaticiens exécutants, qui font ça pour gagner leur vie, sans intérêt particulier pour leur métier. Comme dans tous les métiers. Il y a ceux qui ont les dents longues et pour qui ce métier n’est qu’un tremplin vers des postes de pouvoir (surtout parmi les ingénieurs : c’est plus facile pour y accéder). Comme dans tous les métiers. Et puis il y a ceux, nombreux aussi, qui sont frustrés de ne pas pouvoir s’exprimer. Qui enragent de voir des consultants de grands cabinets prestigieux (souvent débutants, encadrés par un ou deux seniors qui ont déjà sévi ailleurs) pondre uniquement des rapports, compilés d’autres rapports, sur l’état de l’art du comment bien faire en théorie. Pour faire moins cher. Pour payer les consultants suivants. Pendant que les salariés de la DSI sont accusés de coûter trop cher, voire de trop bien connaître le métier de l’entreprise, donc d’avoir une vision trop limitée. Alors qu’ils ne sont là que pour faire tourner des machines, entendons-nous bien ! Ah si, ils savent créer une chose : des bugs. Là, c’est toujours la faute des informaticiens.
Oui, j’ai une grande colère en moi face à ce gâchis. Oui, j’ai choisi de faire un job de base pour une diplômée de mon genre, de me « sous-utiliser » (on me l’a dit la semaine dernière encore) à créer des sites web pour de toutes petites entreprises. Pour la proximité humaine. Pour retrouver le plaisir de créer, et celui de me sentir utile. Deux plaisirs qui n’auraient jamais dû me quitter.
PS : Je n’estime pas être une super développeuse, hein, loin de là, mais je suis curieuse et créative… L’idée d’un top 100 de développeurs français présenté dans le rapport dont je parle, ça me laisse un peu froide. Mais je sais qu’il faut des modèles, des exemples, et que cela aidera à promouvoir ce métier. Mon envie, ici, c’est d’expliquer un certain vécu qui me semble assez courant parmi mes pairs (qu’ils soient bac+5, bac+2, ou autodidactes) après quelques années d’expérience.
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